par Julie Steendam, policy officer à Viva Salud, co-présidente du groupe de travail Be-cause health Determinants sociaux de la santé.
Qu’elles soient informelles ou académiques, les réunions sur la santé globale semblent toujours porter un étrange accent de franc optimisme ou de pessimisme rampant. La connaissance dont l’humanité dispose aujourd’hui sur la façon d’aborder les grands défis sanitaires n’a jamais été plus grande. Et en même temps, l’inégalité augmente, renforcée par une croissance économique non distributive, les dégâts environnementaux, les conflits et les politiques discriminatoires.
Dans ce blog, je partage mes réflexions après avoir pris part au Global Symposium on Health System Research à Liverpool et à la People’s Health Assembly au Bangladesh.
Que ce soit au cinquième Global Symposium on Health system Research ou lors de la quatrième Assemblée Populaire pour la Santé, le ton était le même. L’enchaînement des événements est intéressant : 2018 marque la célébration des 40 ans de la monumentale Déclaration d’Alma Ata et des 70 ans de la fondation, encore plus importante, de l’Organisation Mondiale de la Santé et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Les discours changent, cependant, et au cours de cette période, nous sommes passés d’un appel à des “choix politiques audacieux” à des soins primaires sélectifs de santé, à des Programmes d’Ajustement Structurel et à de graves sous-financements des systèmes de santé. L’appel à mettre au centre les travailleurs de santé locaux a conduit à des projets incroyables mais aussi à des échecs répétés, les bénévoles étant surchargés par le travail pour leur communauté.
Le secteur privé dans la santé : débats et doutes
Lors de la session plénière d’ouverture, Manmeet Kaur a annoncé la couleur en faisant remarquer que l’espérance de vie dans East Harlem est inférieure de 10 ans à celle que l’on note quelques quartiers plus loin. Alors que les USA consacrent d’énormes montants aux soins de santé, les résultats ne suivent pas. Cela montre qu’en tant que défenseurs de meilleurs systèmes de santé, nous devons dépasser le discours de “davantage de moyens financiers”. Tout est question de quel argent et au bénéfice de qui.
En parcourant le programme #HSR2018, une chose apparaît clairement : le rôle du secteur privé dans les services de santé est un sujet contesté mais central. Des acteurs du secteur privé sont présents sous toutes les formes et au sein de tous les piliers de la fourniture de soins : tant de façon informelle que formelle, depuis les médecins individuels jusqu’aux compagnies transnationales, aux institutions de charité et religieuses, des dispensateurs traditionnels de soins aux vendeurs de drogues, et il y a un nombre croissant d’acteurs non conventionnels, comme les analystes des Big Data et des compagnies mobiles.
Pour donner une idée de l’ampleur du phénomène, 50% des soins de santé en Afrique sub-saharienne sont délivrés par ce vaste “secteur privé”. Souvent, et ici je plaide coupable, on assume par défaut que les dispensateurs privés sont de moindre qualité, moins responsables et génèrent une inégalité dans l’accès aux soins.
La session satellite préalable à la conférence, organisée par ‘The Private Sector in Health Thematic Working Group‘ a donc été une occasion bienvenue d’avoir un aperçu des recherches en cours.
Par exemple, Dr. Sania Nishtar a souligné dans sa conférence plénière d’ouverture que la plupart des études systémiques sur la qualité de ces acteurs privés ont des résultats mitigés. Plus important encore : la plupart des recherches soulignent la rareté des données.
Lorsque le Docteur Nishtar a souligné les raisons qui poussent les gens à se tourner vers les structures privées de soins de santé, il est apparu clairement que le facteur sous-jacent, c’est le sous-financement des structures publiques de soins. Il arrive que les structures privées soient les seules disponibles. En comparaison avec le secteur informel, les médecins formels peuvent être plus chers. Les praticiens informels pratiquent parfois des tarifs plus flexibles ou acceptent des façons de payer non monétaires et sont parfois plus sensibles aux valeurs culturelles. Dans des cadres à ressources importantes, où une bonne couverture est fournie, le secteur privé peut être le seul à investir les médecines non traditionnelles, telles que le bien-être, l’acupuncture et la phytothérapie, et de ce fait il est mieux accepté par des parties de la population.
Néanmoins, des études spécifiques en contexte apportent souvent des résultats plus pertinents. Si on prend le cas du Bangladesh, 87% des dispensateurs de soins de santé y sont informels. Et, élément inquiétant, 70% des soins dans ce pays se sont avérés inappropriés et 10% nocifs.
Le Dr Susan Fairley Murray a répondu à la question “pourquoi” du point de vue de la globalisation. Il faut 2,5 billions de dollars supplémentaires pour réaliser les Objectifs de Développement Durable. Selon les découvertes du docteur Murray, ce manque est utilisé par des ONG internationales pour justifier davantage de financement basé sur le marché dans des secteurs sociaux. La corporatisation des services de santé devrait donc être vue comme “un élément d’une pénétration plus large du financement de marché dans les politiques et les services sociaux, et comme une accumulation de capital des investisseurs majeurs au nom du développement”. Elle analyse le large spectre des PPP, des unions d’investisseurs et d’autres réformes comme des moyens de rendre le secteur du développement plus “ouvert aux investissements” et moins ouvert aux motivations sociales.
Jesscia Hamer a illustré tout cela avec la désormais célèbre recherche d’Oxfam sur l’initiative de la Banque Mondiale sur la “santé en Afrique”, qui a été mise sur pied pour investir dans les segments les plus pauvres de la société, mais qui a surtout profité à des investissements au bénéfice de la population urbaine nantie et au tourisme médical.
Initiatives, initiatives partout
Dans chaque session, il y a eu des myriades de “bons” et de “mauvais” exemples d’initiatives privées ou sponsorisées. Mais cette question est restée sans réponse : engageons-nous le secteur privé parce qu’il comble un vide financier ou régulateur, ou parce qu’il est le seul apte à le faire ? Dans la deuxième hypothèse, qu’est-ce que cela dit de notre façon de percevoir notre secteur public en tant que part de la société, et de notre perception de la santé ?
Il serait si facile de réduire cela à une question purement idéologique, comme l’a montré le Dr. Abhay Shukla dans sa conférence plénière sur “la logique sociale des droits à la santé face à la logique de profit des entreprises du secteur de santé”.
Dans le secteur de la santé, l’Inde a fait l’expérience de larges déplacements en faveur d’environnements “accueillants pour les investisseurs”, entre autres par l’installation de conseils d’administration et de choix d’objectifs de profit. Entretemps, le secteur privé est composé en majeure partie d’acteurs importants. Le dr Shukla a souligné un manque de responsabilité sociale, une corruption médicale, des soins irrationnels et un déni quasi structurel des droits des patients, en raison de l’échec de l’auto-régulation et de l’absence de régulation par l’état. En ce qui concerne le caractère irrationnel des soins, 41% des accouchements se font par césarienne dans le secteur privé contre 12% dans les structures publiques.
Le Dr Akaki Zoidze a donné une nouvelle illustration de ce problème en soulignant que la domination privée dans le secteur de santé en Géorgie a provoqué une forte hausse des prix. Actuellement, 30% des foyers géorgiens doivent faire face à d’énormes frais de santé, dus principalement au prix élevé des médicaments. Il a conclu en constatant qu’”il y a plus de soins à la disposition de ceux qui n’en ont pas besoin, en contradiction avec le principe des Soins de Santé Universels” et a lancé un appel aux donateurs et aux gouvernements pour qu’ils apportent des preuves solides que leur choix d’un mix privé-public ne conduira pas à une inégalité d’accès.
Cependant, il reste un manque de connaissances sur la façon dont le marché fonctionne tant dans la recherche que dans les politiques. Des initiatives de régulation restent donc souvent superficielles. Néanmoins, comme l’a souligné le docteur Githinji Gitahi, lorsque nous parlons d’initiatives pour responsabiliser davantage le secteur privé de soins, le rendre plus qualitatif et financièrement accessible, ne demandons-nous pas en fait tout simplement au secteur privé d’être moins privé ?
Pouvoir partout ?
Le Dr Gitahi a souligné que l’asymétrie est présente pas seulement dans l’accès à la santé, mais qu’elle commence par une distribution égale du pouvoir : les communautés pauvres devraient être renforcées pour pouvoir organiser leurs exigences. Pour que les gouvernements jouent leur rôle en tant que premier porteur de devoirs, ils devraient être renforcés dans leur capacité à réguler, surveiller, contrôler et fournir les services publics.
Bien que des analyses de système aient été absentes lors de plusieurs sessions de cette conférence HSR, son apport positif a été que les organisateurs ont pu envoyer un message clair, à savoir qu’il ne suffit pas d’entendre et de connaître l’état des choses : il faut aussi en faire quelque chose. Le choix du professeur Lucy Gilson‘s, experte dans le changement de politique, en tant que lauréate du Award for Lifetime Service to the field of HPSR, a pu confirmer cette orientation.
Au-delà du secteur de santé : les mouvements populaires rassemblent l’essence du droit à la santé
Ce manque d’analyse de système et cet appel à l’action ont été tout à fait comblés lors de la Troisième Assemblée Populaire de la Santé, qui s’est déroulée quelques semaines plus tard au Bangladesh. Cette Assemblée est organisée par le Mouvement Populaire pour la Santé (People’s Health Movement, PHM), et se distingue des autres conférences par la présence de plus de 1400 activistes de terrain et par l’exécution régulière de chants de protestation lors des conférences plénières.
Eduardo Espinoza a donné le ton de l’assemblée en affirmant que “l’histoire du développement est l’histoire du sous-développement d’autres peuples”. Le PHM a été fondé dans les années 2000 pour réaffirmer les principes de la déclaration d’Alma Ata, et plus spécifiquement son investissement au profit des soins de santé publics primaires, de l’implication de la communauté locale, d’une collaboration multi-sectorielle et de l’appel à un “Nouvel Ordre Economique International”.
Ces principes se sont retrouvés dans les axes thématiques de l’assemblée, avec l’identification comme les plus grands défis pour les prochaines cinq années, de la souveraineté alimentaire, du commerce et de l’accès aux médicaments, de la dégradation de l’environnement, du genre et du fonctionnement des systèmes de santé. Plus encore, les ateliers ont été l’occasion de réfléchir aux impacts de la militarisation, à l’accès à la terre, au harcèlement sexuel et à l’empowerment par un mouvement bâti sur la santé.
Le message principal de cette conférence est radical : le droit à la santé est une question politique et ne peut être résolu uniquement par la technologie et la charité. Pour le réaffirmer, des plans concrets ont été faits pour élargir le mouvement.
En plus de recherches supplémentaires, il faut davantage d’actions et on ne peut laisser cela aux seuls “activistes”. Comme l’a dit Walt (1994): “Si nous, en tant que travailleurs sociaux, enseignants, étudiants, agents publics, ne sentons pas que nous et les groupes ou organisations dont nous faisons partie, avons un certain pouvoir pour changer les politiques qui affectent notre vie, ou la vie de ceux qui nous entourent, alors au nom de quoi se lever le matin ?”